Français, françaises, chers amis, chères amies, mon tout, mon toi, tout tout mon toi, mon lecteur adoré, et toi aussi que je hais par-dessus tout depuis que tu es sorti avec Jessica Baber en 5eme C alors qu’elle m’était promise… j’aurais aimé aujourd’hui vous parler d’une charmante petite bourgade rieuse, gaiement baignée par les eaux tumultueuses de la Meuse, aux confluents du sordide bassin parisien et de la magnifique plaine des Ardennes sur laquelle se couche chaque soir un soleil radieux dont les derniers rayons brillent d’une joie de vivre et d’une allégresse sans pareil.
J’aurais aimé vous en parler ainsi, mais il faudrait quand même arrêter de prendre les gens pour des jambons. On parle tout de même ici d’Aiglemont, bled de 1500 habitants situé dans la banlieue nord de Charleville-Mézières, réputée de source officielle pour être la ville la moins ensoleillée de France et dont les principaux faits de gloire resteront à tout jamais son jumelage avec la ville béninoise de Bohicon, son titre de « Ville Internet 2011 » obtenue à la sueur de la souris, et surtout le passage éclair dans sa grande rue principale, en avril 2010 précisément, de Jessica Baber et de sa petite Twingo verte pomme, lancée à toute allure sur la route de Bruxelles pour y retrouver son amour d’alors, un maître-nageur chétif et néo-nazi répondant au doux patronyme de Karl Goering-Goering, mais c’est une autre histoire alors concentrez-vous un peu, je vous prie.
Bref, passons rapidement sur Aiglemont et intéressons-nous plutôt à Charleville-Mézières, charmante bourgade rieuse située au confluent du néant et du vide intersidéral. Il en faut du courage pour habiter à Charleville-Mézières, mais heureusement, carolomacériens et carolomacériennes ne manquent pas d’humour, et il en faut lorsqu’on s’appelle ainsi. Imaginez seulement un instant le discours du maire, à peine aurait-il fini de dire bonjour à ses administrés que la moitié d’entre eux se seront endormis, dans le meilleur des cas, ou se seront suicidés, ce qui est tout de même beaucoup moins probable. On ne se suicide pas, à Charleville-Mézières, ou alors à petit feu, en mourrant d’ennui chaque jour un peu plus. De toute façon, les carolomacériens sont des gens très pieux pour qui la vie est une valeur fondamentale, et vous ne verrez jamais un carolomacérien se suicider. Sauf s’il est très malheureux et qu’il a envie de mourir.
Il faut dire que Charleville-Mézières est une espèce d’incroyable agrégateur de lose : des pluies torrentielles en France ? C’est la Meuse qui déborde. L’industrie métallurgique est en crise ? Les Ardennes ne produiront plus du fer, mais du chômeur au kilomètre. Et quand les boches décident de venir voir si le fond de l’air est plus agréable sur les plages de Normandie, ça tombe à chaque fois sur le coin de la tronche des carolomacériens. Une fois, ça va, deux fois, bonjour les dégâts, et tous les ardennais qui avaient survécu au désastre militaire de la première guerre mondiale ont préféré mourir de honte de s’être fait baiser la gueule exactement au même endroit vingt ans plus tard. En même temps, quand on voit que les carolomacériens sont encore plus de 50.000, on se dit que c’est encore une preuve tangible de l’existence de Dieu et que le ridicule ne tue pas.
L’humour ardennais est éternel. On y rigole à tel point que s’y tient tous les deux ans le drolatique festival de la Marionnette, à base de « bonjours les petits n’enfants ! Attention, guignol, derrière toi, un casque à pointe ! », et que les plus grands humoristes du pays viennent quasiment tous sans exception de Charleville-Mézières. Ainsi les grands rigolos que sont le géomètre Gaspard Monge, auteur de vannes incroyables à base de stéréotomie et de tailleurs de pierre qui se tiennent à leur silex quand l’autre retire l’échelle, ou encore le sculpteur Eric Steziak, qui a l’héritage de Rodin a préféré opter pour la réalisation de Woinic, le plus grand sanglier du monde. True fact. Et enfin, dernière preuve que les carolomacériens sont les champions du monde du rire à gorge déployée et de la bonne humeur communicative, ces quelques vers de la gloire locale, Arthur Rimbaud, empreints d’une joie de vivre dont on ne se lassera jamais :
Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises!
Echouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus avec de noirs parfums!
Qu’est ce qu’on se marre, hein ?