dimanche 17 avril 2011

Dictionnaire Impromptu : Aiglemont

Français, françaises, chers amis, chères amies, mon tout, mon toi, tout tout mon toi, mon lecteur adoré, et toi aussi que je hais par-dessus tout depuis que tu es sorti avec Jessica Baber en 5eme C alors qu’elle m’était promise… j’aurais aimé aujourd’hui vous parler d’une charmante petite bourgade rieuse, gaiement baignée par les eaux tumultueuses de la Meuse, aux confluents du sordide bassin parisien et de la magnifique plaine des Ardennes sur laquelle se couche chaque soir un soleil radieux dont les derniers rayons brillent d’une joie de vivre et d’une allégresse sans pareil.

J’aurais aimé vous en parler ainsi, mais il faudrait quand même arrêter de prendre les gens pour des jambons. On parle tout de même ici d’Aiglemont, bled de 1500 habitants situé dans la banlieue nord de Charleville-Mézières, réputée de source officielle pour être la ville la moins ensoleillée de France et dont les principaux faits de gloire resteront à tout jamais son jumelage avec la ville béninoise de Bohicon, son titre de « Ville Internet 2011 » obtenue à la sueur de la souris, et surtout le passage éclair dans sa grande rue principale, en avril 2010 précisément, de Jessica Baber et de sa petite Twingo verte pomme, lancée à toute allure sur la route de Bruxelles pour y retrouver son amour d’alors, un maître-nageur chétif et néo-nazi répondant au doux patronyme de Karl Goering-Goering, mais c’est une autre histoire alors concentrez-vous un peu, je vous prie.

Bref, passons rapidement sur Aiglemont et intéressons-nous plutôt à Charleville-Mézières, charmante bourgade rieuse située au confluent du néant et du vide intersidéral. Il en faut du courage pour habiter à Charleville-Mézières, mais heureusement, carolomacériens et carolomacériennes ne manquent pas d’humour, et il en faut lorsqu’on s’appelle ainsi. Imaginez seulement un instant le discours du maire, à peine aurait-il fini de dire bonjour à ses administrés que la moitié d’entre eux se seront endormis, dans le meilleur des cas, ou se seront suicidés, ce qui est tout de même beaucoup moins probable. On ne se suicide pas, à Charleville-Mézières, ou alors à petit feu, en mourrant d’ennui chaque jour un peu plus. De toute façon, les carolomacériens sont des gens très pieux pour qui la vie est une valeur fondamentale, et vous ne verrez jamais un carolomacérien se suicider. Sauf s’il est très malheureux et qu’il a envie de mourir.

Il faut dire que Charleville-Mézières est une espèce d’incroyable agrégateur de lose : des pluies torrentielles en France ? C’est la Meuse qui déborde. L’industrie métallurgique est en crise ? Les Ardennes ne produiront plus du fer, mais du chômeur au kilomètre. Et quand les boches décident de venir voir si le fond de l’air est plus agréable sur les plages de Normandie, ça tombe à chaque fois sur le coin de la tronche des carolomacériens. Une fois, ça va, deux fois, bonjour les dégâts, et tous les ardennais qui avaient survécu au désastre militaire de la première guerre mondiale ont préféré mourir de honte de s’être fait baiser la gueule exactement au même endroit vingt ans plus tard. En même temps, quand on voit que les carolomacériens sont encore plus de 50.000, on se dit que c’est encore une preuve tangible de l’existence de Dieu et que le ridicule ne tue pas.

L’humour ardennais est éternel. On y rigole à tel point que s’y tient tous les deux ans le drolatique festival de la Marionnette, à base de « bonjours les petits n’enfants ! Attention, guignol, derrière toi, un casque à pointe ! », et que les plus grands humoristes du pays viennent quasiment tous sans exception de Charleville-Mézières. Ainsi les grands rigolos que sont le géomètre Gaspard Monge, auteur de vannes incroyables à base de stéréotomie et de tailleurs de pierre qui se tiennent à leur silex quand l’autre retire l’échelle, ou encore le sculpteur Eric Steziak, qui a l’héritage de Rodin a préféré opter pour la réalisation de Woinic, le plus grand sanglier du monde. True fact. Et enfin, dernière preuve que les carolomacériens sont les champions du monde du rire à gorge déployée et de la bonne humeur communicative, ces quelques vers de la gloire locale, Arthur Rimbaud, empreints d’une joie de vivre dont on ne se lassera jamais :

Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises!

Echouages hideux au fond des golfes bruns

Où les serpents géants dévorés des punaises

Choient, des arbres tordus avec de noirs parfums!

Qu’est ce qu’on se marre, hein ?

samedi 9 avril 2011

Dictionnaire Impromptu : Saint-Nazaire

Situé sur l’estuaire de la Loire, à proximité de l’Océan, Saint-Nazaire, c’est un peu Nantes-Plage, comme Arcachon pourrait être Bordeaux-Plage ou comme Marseille pourrait-être Ouarzazate-Plage. Plus connue dans l’antiquité sous le nom de Corbilo, Saint-Nazaire était alors la plus grande ville gauloise du littoral, et le plus grand port gaulois après Massilia. Corbilo devint Saint-Nazaire au 6eme siècle lorsqu’un chef breton, Waroc’h II (vu aussi dans Highlander III et dans La Barbare N’a Pas de Culotte), se fracasse connement le crâne sur le linteau de la porte d’une église qu’il essaie de piller maladroitement. Saint-Nazaire fait alors partie du royaume breton puis du duché de Bretagne, mais ne prend véritablement son essor qu’au 19e siècle, lorsque le petit port de pêche se transforme en gros port industriel qui lui vaut le surnom de « petite Californie bretonne ». Arnold Schwarzenegger tente d’ailleurs de s’y faire élire gouverneur en 1892, mais c’est finalement les allemands qui donneront à la ville ses lettres de noblesses et ses moments de gloire en y créant une base de sous-marins en 1940.

Soumise à d’importants bombardements pendant quelques années, la ville est rasée à 80% et finalement évacuée en 1943, ce qui est tout de même la meilleure chose qui lui soit arrivée. On ne comprend même pas que 150.000 Nazariens n’ont pas su saisir leur chance de se barrer une bonne fois pour toute, et y soit revenu aussitôt les ricains arrivés en 1944 pour libérer ce qui restera dans l’histoire sous le nom de « poche de Saint-Nazaire ». Aujourd’hui encore, une petite dizaine de touristes américains en mal de sensations fortes viennent en vacance l’été pour tenter de libérer une dernière fois celles qui resteront malheureusement dans l’histoire sous le nom de « moches de Saint-Nazaire », une catégorie assez répandue dans la petite cité portuaire où la pêche au thon et à la morue ne connaîtra visiblement jamais de coup d’arrêt. Les seuls autres personnes à avoir visité Saint-Nazaire volontairement resteront donc à jamais notre ami Tintin (dans Les 7 Boules de Cristal), Jacques Tati (dans Les Vacances de Monsieur Hulot), Jean-Pierre Darroussin (dans Le Poulpe) et Oui-Oui (dans Oui-Oui S’emmerde à La Plage, fleuron de la littérature érotique française).

Et sinon, pour finir (on ne va pas y passer des heures), sachez que Saint-Nazaire est la ville de naissance de l’ethnologue Odette du Puigaudeau et du céramiste Gustave Tiffoche. Autant dire que personne n’est vraiment né dans ce bled (ou que personne ne veut l’avouer), mais ce n’est point étonnant, c’est très clairement plutôt une ville où il fait bon mourir. C’est d’ailleurs ce qu’on fait pendant la guerre plusieurs milliers de Nazariens en tentant de protéger les magnifiques installations allemandes avec leurs petits corps grassouillets de bourgeois nourris aux tickets de rationnements en rab’, trois tickets de pain pour une petite juive balancée, un ticket de vin pour un pédé, un tzigane, un communiste ou un garçon coiffeur en bonne santé. Pourquoi les garçons coiffeurs ? Et pourquoi pas ?

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