Malgré la chaleur, il était vêtu d’un énorme pardessus noir dont il releva prestement le col sur son visage afin d’échapper aux caméras de surveillance, la main droite crispée sur le petit objet rectangulaire que renfermait sa poche intérieure.
Si l’on venait à le trouver avec ce truc en sa possession, il n’osait même pas imaginer ce qui pourrait bien lui arriver, et il pressa le pas en direction de la salle d’embarcation en prenant bien soin de contourner le PC Sécurité flambant neuf qui s’étalait posément non loin de là. Sa main droite se crispa encore un peu plus sur sa poche alors qu’il s’approchait de l’imposant portique de sécurité qui marquait l’entrée réservée aux passagers munis d’un billet, et il fouilla fébrilement son autre poche de sa main libre pour en extirper le précieux sésame.Ce n’était pas facile avec les épais gants en cuir qu’il s’était offert le jour où il avait quitté précipitamment son Insert douillet sur les conseils avisés d’un des seuls amis qui lui restaient, qui avait entendu parler par un heureux hasard d’une rafle en préparation dans le quartier des Modules d’Habitation où vivait Philippe. Il s’en était fallu de peu, cette fois-ci, et ses gants s’étaient révélés avec le temps un des achats les plus précieux de sa courte existence. Ils avaient rejoint le reste de son attirail de survie (une montre, une boîte d’allumette, une paire de lunettes à faux verre, quelques vêtements fantaisie, des fausses moustaches particulièrement réussies, un désodorisant au menthol, une dizaine d’autres babioles) au fond de l’énorme sac en toile qu’il trimballait sur son dos comme s’il contenait toute son existence, et qu’il s’apprêtait à déposer avec un calme olympien sur le large tapis roulant qui jouxtait le portail de sécurité. Il respira profondément et s’engagea sous l’arche dorée comme s’il s’agissait des portes du Paradis, dont l’existence avait été prouvée scientifiquement par Dofter & Holmes en 2024. La petite lumière jaune cilla quelques instants, parut hésiter sur la marche à suivre, puis décida finalement que tous les éléments n’étaient pas réunis pour qu’elle se mettre à hurler à la mort. Le coeur de Philippe Maurice sauta dans sa poitrine et il fit un effort surhumain pour réprimer les tremblements presque imperceptibles de sa main. Il y était presque. Alléluia. Le tapis métallique s’arrêta sous son nez avec un claquement sonore, et Philippe Maurice récupéra son sac avec tout le calme dont il était capable, comme s’il s’était agi d’un baluchon de vêtement dont il se serait bien passé. À la douanière qui l’observait attentivement derrière sa vitre de plexiglas, il adressa un sourire charmeur, presque désinvolte, et rejoignit sans se presser la file des voyageurs qui patientaient devant la porte d’embarcation. Elle ne l’avait pas reconnu. C’était certain. Il était sain et sauf, encore une fois. Philippe Maurice s’accorda une petite pause et ôta un de ses gants pour éponger son front dégoulinant de sueur, quand une voix suave derrière-lui le fit sursauter à nouveau :
- « Pardonnez-moi, monsieur, vous auriez du feu, s’il vous plaît ?
- Oui, bien entendu, mademoiselle ».
Il avait répondu sans réfléchir, et le rictus mauvais qui se dessina immédiatement sur le doux visage de la douanière le fit trembler comme une feuille. Elle l’avait bien reconnu, et Philippe Maurice crut tomber dans le 0 que forma sa bouche entrouverte pour appeler du secours. Il voulut se retourner, mais ses jambes ne semblaient plus lui répondre, et le sol se déroba sous ses pieds alors qu’il tentait de forcer le passage au milieu de la foule anonyme qui l’encerclait de toute part, terriblement menaçante. Le paysage commença à tourner à une vitesse folle autour de lui, les visages ahuris des voyageurs circonspects formaient une farandole infernale, il lui semblait que son cerveau allait exploser, et il s’étala de tout son long dans les cordeaux de sécurité. Le visage grimaçant de trois agents Norton armés jusqu’aux dents fut la dernière image qu’il vit avant de s’évanouir, la main crispée sur la poche intérieure de son pardessus. L’étui métallique auquel il s’accrochait désespérément tomba au sol, laissant échapper une dizaine de cigarettes abîmées qui roulèrent sur le sol dans un silence de mort. Cette fois-ci, c’était vraiment la fin.
Le 8 avril 2027, à 10h53 du matin, la condamnation à mort par impulsions magnétiques de Philippe Maurice fut prononcée sans hésitation aucune par un jury d’honnêtes citoyens non-fumeurs, pour possession et usage de produits interdits par la Convention de Tegucigalpa. Agenouillé dans sa cellule, les mains jointes devant son visage, tremblant de tout son corps sous l’effet conjugué de la privation et des pilules de sevrage, Philippe Maurice pleurait à chaudes larmes. Et dire qu’il ne pouvait même pas demander la dernière cigarette du condamné.
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