lundi 22 juin 2009

La véritable histoire vraie de Vladimir Yachine (2)

Les allemands menaient une nouvelle attaque sur leur flanc gauche, et aux vues de leur détermination évidente, il ne voyait pas très bien comment ils pourraient en réchapper cette fois-ci. Même lui qui était d’un naturel plutôt chanceux avait dû épuiser tout son lot de miracles pour la journée. Jamais il ne lui avait semblé aussi difficile de rester en vie, et jamais il n’avait été autant persuadé qu’il ne s’en sortirait pas aussi indemne que les jours précédents, trompant la mort subite à maintes reprises avec une réussite insolente.

Une nouvelle balle déchira l’atmosphère pesante et siffla à ses oreilles, passant en vrombissant à quelques centimètres de sa tête. Il se recroquevilla instinctivement sur lui-même. Cette fois encore, ce n’était pas passé loin, et Vladimir Yachine ne put retenir un gémissement sonore. Pourquoi donc est-ce que cela était tombé sur lui ? Il n’avait rien demandé à personne, lui. Le jour où ils étaient venu le chercher, dans sa campagne riante et ensoleillée de Petrograd, il s’était débattu mollement, sans trop y croire, comme s’il suffisait de leur dire qu’il n’était pas vraiment l’homme de la situation pour qu’ils changent d’avis sur la question. On disait de lui qu’il était le meilleur dans son domaine, et sa réputation avait fait le tour du pays beaucoup plus rapidement qu’il ne l’aurait souhaité... de petite gloire locale, il s’était retrouvé propulsé héros de la nation en moins de temps qu’il n’en avait fallu aux hommes venus de Moscou pour l’embarquer avec eux à la capitale. Il s’était peut-être laissé griser au début, tout émoustillé par les jeunes filles en fleur qui criaient son nom sur son passage alors qu’il défilait dans les rues enneigées, vêtu de son costume tout neuf qui lui donnait décidément fière allure. Il le regrettait amèrement maintenant, alors qu’il s’apprêtait à regarder la mort dans les yeux après avoir survécu tant bien que mal pendant ces deux longues semaines de campagne jalonnés de succès étriqués et de semi victoires à l’arrachée. Ses oreilles bourdonnaient, sa blessure à la tempe ne faisait qu’empirer et le sang qui en coulait commençait à brouiller sa vue. Il chancela, manqua de s’évanouir et mit un genou à terre pour ne pas s’affaler. Il baissa la tête et ferma les yeux. Advienne que pourra. S’il devait mourir aujourd’hui, si on devait l’exécuter à bout portant, il préférait autant ne pas voir ça. Ainsi prostré, il attendit de longues secondes que ne vienne le coup fatal, mais rien ne se passa. Tout a coup, ce fut le silence autour de lui, un silence de mort, presque palpable. Un coup de sifflet déchira l’atmosphère et la clameur de la foule tout autour de lui le fit reprendre soudain pied avec la réalité. Il jeta prudemment un regard autour de lui et sourit faiblement. C’était fini. Il était sain et sauf.

Vladimir Yachine défit lentement la lanière de ses gants, cligna des yeux pour regarder le soleil qui disparaissait derrière la tribune présidentielle, et tenta de se frayer un chemin vers les vestiaires à travers les supporters déchaînés qui se pressaient autour du nouveau vainqueur de la Coupe du Monde de Football.

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