lundi 30 novembre 2009

Dictionnaire impromptu : Sid Vicious

Né le 10 mai 1957 à Londres, John Simon Ritchie voit très jeune son père quitter le domicile familial, et sa mère se réfugier du côté d’Ibiza, parce que c’est quand même plus sympa que Boulogne-sur-Mer. Elle gagne sa vie en vendant du cannabis, parce que c’est quand même plus sympa que de vendre son cul, puis rentre à Londres en 1965 et abandonne son fils à la rue, parce que c’est quand même plus sympa sans un gamin turbulent dans les pattes. John Ritchie n’essaie pas de retrouver son père, parce qu’avec un coup de pas de bol ça pourrait être Lionel Ritchie, et préfère jouer pendant quelques années à Rémy sans famille, version Orange Mécanique : débrouille, gang de voyous et ultra-violence.

A 18 ans, John Ritchie emménage dans un taudis avec son meilleur pote, un petit gars appelé Johnny Rotten, et se retrouve soudainement affublé du surnom de Sid Vicious, Sid, comme le hamster de Johnny Rotten qui avait eu la bonne idée de ne pas l’appeler Gilbert. Très vite, Johnny Rotten devient le chanteur d’un petit groupe de punk qui monte, les Sex Pistols. Ceux-ci ne tardent pas à se séparer de leur bassiste qui écoutait trop les Beatles pour faire un punk honnête, et embauche Sid Vicious pour le remplacer en 1977, alors qu’il n’a jamais touché un instrument de sa vie.

En un peu plus d’un an, Sid Vicious aura le temps de faire partie du groupe le plus marquant du punk anglais, d’inventer le pogo, d’avoir une liaison avec une toxicomane américaine du nom de Nancy Spungen et de devenir l’incarnation ultime du rock’n’roll, sexe, drogues, violences, provocations en tout genre, une véritable icône. Pas sûr que Gilbert Vicious aurait eu le même succès, lui qui fait un véritable carton à chaque fois qu’il ouvre son imperméable devant les écolières du couvent Sainte Hélène de Boulogne-Sur-Mer.

Bref. En 1978, après une tournée américaine mouvementée, Johnny Rotten annonce la dissolution des Sex Pistols, qui n’auront donc jamais réalisé qu’un seul album (le fameux Nevermind Sandra Bullock) et une poignée de singles. Sid Vicious tente bien de se lancer en solo mais ne parviendra à commettre qu’une reprise bancale de My Way, et retombe de plus belle dans la drogue en compagnie de Nancy. Le 12 octobre 1978, le corps de celle-ci est retrouvé poignardé dans leur chambre du Chelsea Motel, et Sid Vicious emprisonné en attendant de faire la lumière sur ce meurtre. Mais Sid Vicious ne sera jamais jugé, il est relâché sous caution en attendant son procès et meurt d’une overdose à New York le 2 février 1979 sans que l’on sache s’il s’agit d’un accident ou d’un suicide. L’icône du punk était morte, et plus rien ne serait comme avant. No future.

La véritable histoire vraie de Marc Intoche (5)

Son sourire se figea soudainement, au fur et à mesure qu’il se rendait compte qu’il était bien incapable de se souvenir de quelque chose de réellement beau à propos de sa relation avec Martin. Ils vivaient ensemble, voilà tout, avec leurs petites habitudes, et ne se détestaient pas.

Non qu’ils aient eu ensemble une existence triste et dénuée de tout bonheur partagé, mais c’était comme si tout les instants heureux dont il pouvait se souvenir s’estompaient très rapidement devant la masse de reproches qu’il avait à lui faire, qu’il aurait à lui faire si seulement il était encore de ce monde. Si seulement ce con ne s’était cru assez évolué pour accepter sans aucune hésitation toutes les missions que lui avait confié la Pomme, s’il ne s’était pas aventuré bêtement dans les tréfonds de la galaxie à la recherche d’une quelconque forme de vie disparue depuis la nuit des temps, s’il ne s’était pas senti si invincible au point d’en oublier toutes les règles de prudence élémentaire que l’on inculquait dès le début à tous les sujets de la Pomme, peut-être serait-il à sa place ce soir, larmoyant, ne pouvant retenir ses sanglots devant le spectacle du corps de Marc Intoche recroquevillé dans une boîte en métal glaciale et bien trop petite pour lui. Mais ce n’était pas le cas. Peut-être était-ce sa faute, peut-être qu’il aurait du le détromper plus souvent et plus violemment sur ses capacités à rester vivant. Mais une chose était certaine, il n’arrivait pas plus à culpabiliser qu’à être attristé par la disparition de celui qui avait partagé sa morne existence ces vingt dernières années. Tant pis. Tant pis pour lui, tant pis pour eux. C’était peut-être du fatalisme, ces deux mots qui tombaient aussi abruptement qu’une hache sur le coup du condamné, mais c’était aussi la triste vérité, d’une logique implacable, d’un cynisme parfaitement maîtrisé et totalement incontrôlable. Tant pis. Il soupira de nouveau et dut faire un effort surhumain pour empêcher son regard de partir une nouvelle fois dans le vague à la recherche de réponses inutiles à des questions qui ne se posaient même pas. Tant pis. Et tant pis pour lui, s’il ne pouvait s’empêcher d’être aussi peu troublé devant ce spectacle funeste qu’un de ces stupides automates pleins de bugs que la Pomme avait réussi à mettre enfin à la retraite en reprenant les commandes du monde. Il se sentait ainsi, froid, raisonné, programmé pour agir sans trop réfléchir, et réfléchir uniquement lorsque cela était nécessaire, selon des concepts pré-établis, ne laissant échapper de sa lourde carcasse que les sentiments que l’on lui avait appris à avoir. Tant pis. Quelqu’un avait du merder dans son éducation, à un moment, il ne voyait pas d’autre explication... une simple erreur dans la chaîne de causalité, et tout avait déraillé. Il n’était pas comme les autres, il le voyait bien, et il ne pourrait plus prétendre très longtemps. Distraitement, il caressa le visage enfin apaisé de son compagnon, ses doigts glissèrent lentement le long de son front lisse, s’arrêtèrent quelques instants sur la plaque métallique incrustée dans sa nuque parfaite, effleurant les chiffres en relief de son numéro de matricule avant de replonger quelques secondes plus tard en direction de son torse presque intacte, à l’exception notable d’un trou d’une quinzaine de centimètres de diamètre, parfaitement découpé, qui laissait délicatement entrevoir l’amas de fils dont la section irréprochable, sans doute provoquée par une arme thermique anti-blindage, avait entraîné sans nul doute l’arrêt immédiat des fonctions vitales du numéro X456. Marc Intoche se détourna brutalement de la dépouille inerte, moins parce qu’il ne pouvait pas supporter sa vue que parce qu’il ne pouvait supporter d’éprouver aussi peu d’émotions à son contact. A vrai dire, c’était même plus qu’il ne pourrait jamais en supporter. Il avait déjà vécu trop de temps dans le mensonge et le déni de qui il était vraiment. D’un geste raide de la tête, il s’excusa auprès de ses invités, traversa lentement la pièce bondée en frôlant à peine tout ceux qui se trouvaient sur son passage, et rentra dans le petit réduit qui lui servait de chambre en refermant soigneusement la porte derrière lui. Il prit une profonde inspiration, se demanda s’il devait même hésiter, et chassa rapidement cette idée de sa tête. Bien sûr que non, sa décision était prise. Depuis longtemps, en fait, et tout les calculs de probabilités du monde n’y changerait rien. Il observa quelques instants son image dans le miroir qui lui faisait face, ce visage dur et sans émotions que lui avait façonné son père en pensant sans doute bien faire. Quel gâchis. Puis, doucement, millimètre par millimètre, Marc Intoche porte la main à sa nuque, dévissa soigneusement la petite plaque métallique qui l’ornait et, avec un petit sourire ironique à l’encontre de son reflet qui l’observait attentivement dans la glace, pressa le bouton Reset en forme de pomme camouflé au creux de son cuir chevelu. Les yeux de l’humanoïde expérimental de 3e génération F672 se brouillèrent subitement, et sa dernière pensée fut qu’il avait décidément fait le bon choix. Ce n’était pas humain d’être aussi peu sensible à sa propre mort.

dimanche 22 novembre 2009

Dictionnaire impromptu : John Wayne

Symbole ultime du mâle dans toute sa splendeur, la peau mate burinée par le soleil écrasant, le regard fier scrutant l’horizon avant de cracher dans la poussière du Texas un glaviot large comme le poing, John Wayne est un macho comme on en fera plus, ténébreux et fascinant. Sauf que John Wayne s’appelle en réalité Marion Morrisson, et que le mythe du cow-boy viril prend subitement une flèche dans l’aile.

Né Marion Robert Morrisson le 26 mai 1907 d’un père écossais et presbytérien et d’une mère irlandaise et myope, John Wayne passa son enfance en Californie à tenter de changer de sexe par tous les moyens. Ne pouvant se résoudre à une opération chirurgicale fort coûteuse, il se met au football et rentre à l’université de Californie du Sud où il obtient une bourse, ce qui est déjà un bon début quand on essaie désespérément d’obtenir l’appareillage complet. Mais une blessure au sein droit l’oblige à mettre un terme à sa carrière de quaterback, Marion met fin à ses études et commence à travailler pour des studios de cinéma locaux, où il rencontrera le grand John Ford qui le fait tourner avec son ancienne équipe dans le film « Maker of Men » en 1930, littéralement, « Faire de vous des hommes », ce qui avait tout pour exciter le jeune Marion.

Après cette première étape encourageante, Marion sait ce qui lui reste à faire pour enfin se trouver. Il se lance dans le cinéma et devient John Wayne, John comme son héros John Ford et Wayne comme Bruce Wayne, dont l’homosexualité latente à de quoi prêter à confusion mais c’est une autre histoire. Luttant tant bien que mal contre les pulsions qui l’habitent, Marion, et même si là-dessus les avis divergent et que dix verges, ça fait beaucoup pour un seul homme, Marion, donc, se créé par réflexe un personnage ultra macho et conservateur qu’il conservera coûte que coûte dans les 175 films où il apparaîtra. John Wayne excelle alors autant dans les westerns (Rio Bravo, L’Homme qui tua Liberty Valance, La Chevauchée Fantastique, Pocahontas et les 1000 plaisirs de la squaw solitaire...) que dans les films de guerre, et en 1968, il signe ainsi Les Bérets Verts, seul film du genre ouvertement pro-guerre du Vietnam. On lui propose alors d’être le candidat du parti Républicain au prochaine élection, mais John décline la proposition en déclarant que jamais le public ne pourrait envoyer un acteur à la Maison Blanche, et Ronald Reagan se marre.

A la même période, on lui diagnostique un cancer du poumon, ce qui n’empêchera pas John Wayne de fumer virilement ses trois paquets quotidiens jusqu’à son dernier souffle, parce que le cancer du poumon, tout le monde le sait, c’est pour les pédés. Il décide donc plutôt de mourir d’un cancer de l’estomac, qui, un soir de juin 1979, emporte le fier cow-boy solitaire vers son dernier rodéo. John Wayne demeurera pour tous l’homme le plus classe du monde, là où tant de gens confondent encore un peu trop la classe et la coquetterie.

La véritable histoire vraie de Marc Intoche (4)

Prétendre, simuler, encore et encore. Pour ça non plus, il n’avait pas été programmé, mais c’était rapidement devenu comme une seconde nature pour lui. Comment aurait-il pu faire autrement, de toute façon ?

S’il n’avait jamais laissé échapper ne serait-ce qu’une bribe de ce qu’il ressentait vraiment, les limiers de l’Institut Norton n’auraient pas tardé à intervenir pour le retirer du circuit. Pire encore, s’il s’étaient alors rendu compte qu’il planquait chez lui un ouvrage ancien subtilisé habilement dans la réserve des Archives Centrales, ils auraient sans doute été plus expéditifs encore et c’est lui qui se retrouverait aujourd’hui exposé à la vue de tous dans une petite boîte de métal. Peut-être que c’était ça qu’il recherchait après tout, en prenant de tels risques. Il avait beau détester les enterrements, c’était peut-être aussi parce qu’il n’avait pas encore eu l’occasion d’assister au sien. Est-ce qu’il en vaudrait la peine ? Sans doute, tant qu’il n’avait plu à supporter ses congénères et leurs lamentations hypocrites. Marc Chronos soupira et regarda autour de lui. La plupart des invités étaient désormais réunis au centre de la pièce, formant un cercle en apparence soudé d’où s’élevait une longue plainte monocorde, un son modulé à l’infini sur un rythme binaire plutôt angoissant, à vrai dire. Il se leva enfin de sa chaise, s’ébroua quelques instants, et traversa la pièce en prenant un air aussi effondré que possible, faisant mine de tituber à chaque pas. Les regards compatissants qui accompagnèrent son déplacement jusqu’au cercueil en polymatière suffirent à son bonheur. Est-ce qu’un seul d’entre eux pouvait soupçonner que derrière sa tristesse apparente se cachaient une profonde indifférence et un dégoût certain pour tout ce qui l’entourait ? Prudemment, il adressa à gauche et à droite quelques petits signes de tête et des remerciements discrets, bien qu’il n’ait pas grand chose à faire de leurs condoléances. Bien sûr, la mort soudaine de son compagnon l’avait un peu attristé, mais il n’avait pas vraiment la même conception que ceux qui l’entouraient, qu’il ne percevait pas la joie et la tristesse de la même façon qu’eux, comme s’il était imperméable à la plupart des sentiments qui semblaient naturellement guider leurs existences. Parfois, il en arrivait à se demander s’il n’était pas un monstre. Après tout, cela pouvait s’expliquer aisément, ils n’étaient pas non plus de la même génération que lui. Malgré la disparité flagrante de leurs âges apparents, une très grande partie d’eux étaient bien plus jeunes que lui et n’avaient certainement pas vécu la Réforme AO comme lui était passé au travers avec pertes et fracas. Ils n’étaient pas du même moule, n’étaient pas fait pareil, n’avaient certainement pas le même passif, et, malgré tous ses efforts pour s’intégrer, Marc Intoche se sentait désespérément différent lorsqu’il se trouvait en leur compagnie, lorsqu’il était obligé de se trouver en leur compagnie. Il posa sa main sur le rebord de la boîte métallique et la retira aussitôt. Elle était glaciale. Il ferma les yeux, tentant de suivre les préceptes de la Pomme dans ce cas de figure. Son esprit parcourut ses connexions neuronales à plus de 15800 kilobits par seconde pour y déterrer les fichiers correspondants. Procédure 27 bis, décès accidentel d’un proche, humanoïde ou associé : se souvenir uniquement des belles choses. Un léger sourire flotta sur les lèvres de Marc Intoche : c’était donc aussi simple que ça. Il fallait bien avouer que les 12457 règles de survie élémentaires établies par la Pomme le jour même de son arrivée au pouvoir s’avéraient souvent d’une redoutable efficacité, pour peu que l’on sache les manier avec une certaine intelligence et beaucoup de précautions.

(à suivre...)

lundi 16 novembre 2009

Définition Impromptue : le Suicide

Comme chacun le sait, le suicide vient du mot «suisse», le suisse, et du grec «ide», la honte. Quoique. Il valait mieux être suisse que juste juif en 1940, et il vaut mieux être suisse que juif et arabe en 2009, parce que là, pour la neutralité, il faudra repasser le mois prochain, nous sommes fermés aujourd’hui.

Le suicide a été inventé au 17ème siècle par le cycliste belge Jean De la Fontaine, qui se donna la mort après avoir déchaussé dans la montée de l’Alpes D’Huez : avant de s’empaler sur sa pédale (je vous en prie), il eut ces quelques mots fabuleux : «rien ne sert de mourir, il faut mourir à point». Jean de La Fontaine était un gentleman comme on en fait plus, il avait compris dès le départ que la meilleure preuve de savoir-vivre était encore de savoir mourir.

J’en parlais justement l’autre jour dans la file d’attente de la boulangerie avec mes compagnons de queue (je vous en prie), je ne sais pas pour vous, mais moi, je suis pour. D’une part, parce que je suis contre la mort naturelle : comme Desproges, je n’aurai pas le cancer. Je suis contre. Enfin, bon, comme disait l’autre, il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant la charrue. D’autre part, parce que je n’ai pas peur du suicide. Pourquoi ? Premièrement, j’ai un scoop : la vie, on n’en sort pas vivant. Deuxièmement, quand je serais mort, je serais enfin un grand poète, et tout le monde connaîtra mes vers…Troisièmement, je n’ai plus peur de la mort depuis que j’ai appris que d’autres étaient passés par là avant moi. Et je dirais même plus, comme l’a dit Woody Allen avant moi, ce n’est pas vraiment que j’ai peur de mourir, c’est que je préférerais ne pas être là quand ça arrivera. En fait, le dernier obstacle, c’est que la mort est interdite par ma religion

Le suicide dans la religion, voilà un sujet intéressant : la religion chrétienne, dont la discipline est quasiment laxiste quant à la longueur de la soutane dont l’opportunité du port est laissé à chacun alors qu’il est interdit par l’islam (le porc, pas la soutane), la religion chrétienne disais-je, avant de me perdre entre deux virgules, mais si tu avances quand je recule, comment veux tu, comment veux tu que je virgule, la religion chrétienne est elle carrément hostile au suicide. On ne verra jamais un chrétien se suicider, sauf s’il est très malheureux et qu’il a envie de mourir. Car un chrétien qui se suicide perd sa place à la droite de Dieu. Ah oui, au Paradis, on est toujours assis à la droite de Dieu, c’est bien normal, c’est la place du mort. Mais il vaut mieux être assis à la droite de Dieu qu’à la gauche de Maïté, car Dieu, au moins, ne prend pas toute la place sur le banc. Bref. Pourquoi est-ce que cette théorie religieuse ne tient pas debout ? Parce que comme le disais si bien Gustave Parking, le suicide est avant tout de la légitime défense, puisqu’à la fin on finit par tuer son agresseur.

Les causes de suicide sont multiples ; la chute du Franc devant le Dollar, la chute du Dollar devant le franc, la chute de tes reins qui s’éloignent, la chute de mes poumons de fumeur, la compromission dans l’affaire des HLM de la ville de Paris, la compromission dans l’affaire des HLM de la ville de Bordeaux, les dettes, la faillite ; la défaite de Saint Etienne devant Sochaux, la défaite de Sochaux devant Saint Etienne, la visite de votre belle mère…. Mais qu’importe la cause, ce qui importe, c’est la manière dont on le fait. Attention à bien choisir son arme, on a beau être quelqu’un de facile à vivre, il nous est aussi difficile de mourir que n’importe qui. Ainsi, se trancher les veines avec une éponge mouillée ou sauter dans le vide depuis le rez-de-chaussée ne donnant que des résultats très moyens selon des récentes statistiques de la Police Nationale (toujours dans les bons coups), nous vous conseillons le suicide spécial Kurt Cobain : soit le suicide par pendaison avec les mains liés, trois balles dans le dos, la gorge tranchée et assez de calmants dans le sang pour assommer un éléphant d’Afrique. Les plus tordus peuvent toujours essayer le suicide « Gilbert Bécaud », son intégrale collector au casque jusqu’à l’arrêt total des fonctions vitales, mais pour le coup c’est vraiment vicieux.

En tout cas, je vous en supplie, ne vous manquez pas. Ca serait trop bête que vous finissiez comme un légume. Et puis, il faut réussir un suicide au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour éviter de mourir idiot.

dimanche 15 novembre 2009

La véritable histoire vraie de Marc Intoche (3)

A l’époque, Marc Intoche se passionnait pour ses histoires de complots, dévoraient des tonnes de publications plus ou moins légales sur le sujet, et ils auraient posé des tonnes de questions à ses parents si seulement il avait eu la chance d’encore les avoir. Mais ils avaient disparu dans les premières heures sombres de la Réforme, victimes innocentes d’un attentat aveugle perpétré par la résistance dans les bâtiments de la Pomme où ils travaillaient tous les deux comme simples ingénieurs diagnostic.

Marc Intoche avait été abasourdi pendant 20 minutes, dévasté de tristesse pendant une semaine, en colère pendant 6 mois et animé d’un esprit de revanche les 3 années qui suivirent. Le plus naturellement du monde, il s’était rangé du côté de la Pomme, avait accepté leur foutu Programme Binaire et s’était trouvé ce job peinard au sein des Archives Centrales. Ce n’est qu’après de longues années de sommeil paradoxal qu’il s’était soudain réveillé un matin avec la sensation d’être pris dans un engrenage infernal dont il ne faisait pas vraiment partie intégrante, au sens propre du terme. Comme s’il était déconnecté en permanence de sa propre réalité, exécutant des tâches quotidiennes en mode semi-automatique sans vraiment y prêter attention, uniquement parce qu’on lui en avait donné l’ordre. Et quelles tâches ! Trier les données, bêtement, Alpha d’un côté, Epsilon au fond, Kappa dans un coin, Thêta là où il pouvait les caser, Iota dans ton cul, pourquoi pas. Ce boulot allait le rendre dingue, il s’en rendait bien compte. En vérité, la seule chose qui lui avait maintenu la tête hors de l’eau, ces derniers temps, ça avait été sans doute cette découverte mirifique de l’ancienne Bibliothèque de Madrid par deux grands robots Sondes en goguette du côté de la péninsule ibérique. A sa grande surprise, on l’avait chargé de l’identification et de la classification ordonnée de tous les manuscrits qui avaient pu être remontés à la surface à travers les centaines de mètres de gravats accumulés à cet endroit, alors qu’il n’avait subi jusqu’à là aucune formation particulière en la matière. C’était même la première fois qu’il voyait des livres de si prêt, et ça n’avait pas été chose aisée pour lui de se familiariser avec ces objets si étranges, si simples et si complexes, si répugnants et envoûtants à la fois. Mais une fois qu’il eut dépassé le stade d’une légitime appréhension, il était rentré avec délices dans un monde totalement nouveau pour lui, tâtonnant pour trouver la clé universelle qui commandait l’existence de ces objets dont il avait entendu parler sans jamais avoir pu comprendre ce dont il s’agissait. Il se devait seulement de réfréner son excitation en permanence, de paraître, encore une fois, totalement décontractée et insensible au charme vénéneux de ces manuscrits à la couverture jaunie par le temps. Il le savait, c’était une des conditions sine qua non pour qu’on le laisse travailler paisiblement aux Archives Centrales, prétendre que tout ça ne lui procurait aucune émotion visible, faire semblant, encore, de n’être qu’une pièce du puzzle qui servait la Pomme avec toute la froide dévotion à laquelle on reconnaissait ses sujets.

(à suivre)

lundi 9 novembre 2009

Dictionnaire impromptu : Hassan II


Né en 1929 à Rabat, Hassan Ben Mohammed Ben Youssef El Alaoui (reprenez votre souffle, on a connu pire) aura régné pendant plus de 38 ans sur le royaume du Maroc, petit petit d'Afrique du Nord situé à trois boat-people et demi de l'Espagne via le détroit de Gibraltar.

Descendant direct du prophète Mahomet en passant par sa fille Lalla Fatima Zahra et par la rue des Bahutiers, prendre la ligne 8 et descendre à Barbès, Hassan Ben Mohammed Ben Youssef Ben Oït Ben Yamin El Alaoui devient en 1961 Hassan II, 22e monarque de la dynastie Alaouite, qui aura régné finalement beaucoup plus longtemps que les dynasties Alaune et Aladeux. Avant cela, le petit Hassan, appelé longtemps Momo par ses copains d'écoles avant que ceux-ci ne commencent à disparaître avec toute leur famille dans les prisons de son père Mohammed V, fait ses études à Bordeaux et y obtient conjointement un diplôme de droit public à la faculté Montesquieu et deux maladies vénériennes importées de Roumanie sur les Quais de Paludate.

Son diplôme en poche, Hassan commence à accompagner son père dans ses déplacement politiques, et lorsque celui-ci obtient l'indépendance du Maroc en 1956, Hassan est nommé chef d'Etat Major des Forces Armées, puis prince héritier en 1957, puis roi le 3 mars 1961, à la mort de son père. Dès son intronisation, Hassan II fait du Sarkozy au pays des djellabas, commence par faire adopter une constitution sur mesure qui lui octroie les pleins pouvoirs puis déclare le début de 10 ans d'état d'exception après les émeutes de Casablanca en 1965, tout en prenant le temps de faire enlever et assassiner le leader de l'opposition Medhi Ben Barka, histoire de ne pas laisser ces petits cons de gauchistes emmerder les riches pendant qu'ils bouffent leur tajin.

Forcément, ça passe moyen auprès des couches populaires, et Hassan II échappe de peu à un coup d'état (en un seul mot, Maité n'y est pour rien) puis à une tentative d'assassinat au missile sol-air, parce que les mecs avaient peur de le louper. Hassan II est plutôt du genre mince et élancé, il passe entre les gouttes sans encombres et finit par se faire oublier en nommant premier ministre le chef de l'opposition Abderaman El Youssoufi. Tant qu'à faire, il se met aussi les chrétiens dans la poche en invitant le pape Jean-Paul II à visiter le Maroc (toutes les photos du pape en string à Agadir sont sur www.lemarocalacool.com) et laisse derrière lui l'image d'un monarque éclairé, moderniste et attaché aux traditions à la fois, capable de grande bonté comme des pires crasses, le cul entre deux chaises sans jamais prendre le risque de se péter le coccix, capable de grands écarts à faire pâlir Jean-Claude VanDamme.

Lorsqu'il meurt, le 25 juillet 1999, trois millions de personnes suivent le cortège funéraire dans les rues de Rabat et font la gueule, c'est la fameuse journée des trois millions de rabat-joie.

La véritable histoire vraie de Marc Intoche (2)

Il soupira, se redressa sur sa chaise et remarqua qu’il avait commencé à s’y tortiller nerveusement depuis quelques minutes déjà. Enfin, il fallait bien qu’il se fasse choper, un jour ou l’autre, il n’allait pas passer à travers les mailles de leur scepticisme pendant des années lumières. Il avait eu beaucoup de chance jusqu’à là. Le jour où la Pomme était passée en version 4.0, déjà, il avait cru que c’était la fin. Ce jour-là, il avait totalement abandonné toute prudence, et sans un sursaut de survie élémentaire, il ne serait même plus de ce monde aujourd’hui. Ou pas dans cet état-là. C’est certain, il aurait au moins été déchu de tous ses droits de citoyen bêta et auraient pu dire adieu immédiatement à tous les avantages que lui offrait sa position privilégiée aux Archives Centrales.

Ce jour-là, le jour de l’update 4.0, il s’était tout bêtement assoupi au travail, la tête entre deux cartons d’un nouvel arrivage plus assommant qu’à l’ordinaire encore, et il avait failli manquer toute la cérémonie. Il ne se souvenait même plus des énormes bobards qu’il avait du proférer pour sortir des griffes des trois inspecteurs Norton qui étaient venu l’intercepter au milieu d’une rue déserte alors qu’il cavalait comme un dératé pour rejoindre le cortège, mais ça avait été la peur de sa vie. Il se demandait même encore comment il pouvait être encore là, prostré sur une chaise, à simuler une affection dont il n’éprouvait pas la moindre trace. C’était un miracle, un miracle divin, se dit-il avec un petit sourire en coulant un oeil par le velux en direction du vide intersidéral qui planait au-dessus de sa tête. Si seulement il y avait quelqu’un là-haut, tout ça ne serait pas arrivé, ni la Grande Révélation, ni l’arrivée subite des Réformateurs AO et l’avènement tout aussi soudain de la Pomme. Il ne pouvait pas croire qu’un Dieu quelconque, quel que soit son nom et son sexe, ait pu laisser tomber le monde dans un tel état de perfection absolue. S’il y avait là-haut un truc, une présence, une entité de quelque forme que ce soit, elle se serait fatalement interposée d’une manière ou d’une autre et n’aurait pas permis que sa plus grande création bascule aussi facilement dans l’obscurantisme. A moins, justement, que ce soit pas là sa plus grande réussite, loin de là, et que son créateur se soit lassé des conneries de l’être humain au point de l’abandonner à son triste sort pour aller s’occuper plutôt des planètes qui en valaient le coup. Ou pire encore, peut-être était-il mort, tout simplement, à supposer qu’il puisse disparaître ainsi sans laisser d’autres traces de son passage que quelques monuments oubliés et une vingtaine de bouquins poussiéreux mentionnant son existence, oubliés au fond des Archives Centrales de la Pomme. Surpris par la logique imperturbable de sa propre réflexion, Marc Intoche secoua la tête. Ca devait être ça, ça ne pouvait pas être autre chose : Dieu était mort. Il se demanda s’il avait eu le droit à un enterrement aussi chiant que celui qu’il était en train de vivre lui-même, mais chassa rapidement cette idée stupide de son esprit avant que ne se peigne malgré lui sur son visage un sourire du plus mauvais effet. Il fallait qu’il continue à se contenir, à paraître aussi affligé que le demandait la situation. il ne pouvait définitivement pas se permettre une nouvelle incartade, son capital confiance auprès de la Pomme était déjà suffisamment entamé comme ça, et il ne savait que trop bien qu’elle serait sans pitié s’il lui donnait l’occasion de déchaîner sa colère. Il avait encore en mémoire les atrocités qu’avaient subi ses derniers opposants, lorsque la Fratrie de la Pomme et ses courtisans avaient pris le pouvoir une vingtaine d’année auparavant, et ça ne le mettait pas spécialement en joie. Il n’était alors qu’un gamin âgé d’un siècle à peine, et les images qu’il gardait malgré lui de l’arrivée des Réformateurs AO l’avait marqué à vif pour le restant de son existence. Ca avait été le début d’une période trouble, agitée de nombreux soubresauts, et qui n’avait pris fin qu’avec la disparition des derniers défenseurs de l’Ordre de la Fenêtre, pourchassés dans les moindres recoins du monde connu, torturés dans les caves secrètes de l’Institut Norton jusqu’à expier leurs pêchés, quitte à y perdre la vie à défaut de vouloir y laisser leur honneur.
(à suivre)

mercredi 4 novembre 2009

Dictionnaire Impromptu : Stanley Kubrick


Pur produit de la société juive new-yorkaise du début du XXe siècle, à une époque où il valait mieux être de ce côté-ci de l’Atlantique quand on portait la guirlande et les tresses, Stanley Kubrick n’eut pourtant jamais à subir l’antisémitisme primaire dans sa plus tendre enfance. De toute façon, il n’y avait pas d’antisémites dans le Bronx en 1940, ou en tout cas, il y avait dans le Bronx de 1940 beaucoup moins d’antisémite que de sales juifs aux doigts crochus prêts à égorger vos femmes et vos enfants dès que vous aviez le dos tourné.


Né dans le Bronx en 1928, donc, le petit Stanley veut devenir batteur de jazz pour jouer avec son papa pianiste et sa maman chanteuse, mais il change d’avis subitement lorsque son père lui offre un appareil photo pour son treizième anniversaire, retournant sa veste avec l’agilité d’un juif au galop. Stanley Kubrick vend son premier cliché au magazine Look à l’âge de 16 ans, son premier faux autographe de star à l’âge de 17 et son âme au diable à 18 ans, lorsqu’il épouse sa camarade de classe Toba Metz, où il ne va jamais puisqu’il est juif.


Il lui faudra attendre de divorcer pour avoir le temps de réaliser son premier film en 1954, Fear&Desire, où un groupe de soldats est chargé d’éliminer une unité ennemie dans une guerre fictive. Trop intello. Qu’à cela ne tienne, Kubrick épouse sa seconde femme et termine vite fait son second film, le Baiser du Tueur. Après avoir tourné en 1957 son premier carton hollywoodien, les Sentiers de la Gloire, à partir d’un scénario dont personne ne voulait à part Kirk Douglas, l’homme des péplums improbables (note pour plus tard : revoir encore une fois Hercule contre les Martiens avant de mourir), Kubrick garde le rythme, redivorce et épouse dans la foulée l’actrice Christiane Harlan. Les Sentiers de la Gloire le conduisent tout droit à Holywood, mais Kubrick préfère passer par les chemins de traverse et réalise Spartacus, avec, fatalement, Kirk « Jupette » Douglas. Tout émoustillé par le spectacle réjouissant des fiers gladiateurs aux corps badigeonnés d’huile, Kubrick ne peut s’empêcher de commettre en 1962 le brûlant Lolita, adapté du roman de Nabokov, puis le beaucoup moins sensuel Docteur Folamour en 1964, film catastrophe où la bombe est avant tout nucléaire.


Le grand tournant viendra véritablement pour Kubrick en 1965, lorsqu’il le lance dans le long tournage (5 ans) de ce qui sera son chef d’œuvre, 2001 Odyssée de l’Espace, pour lequel il reçoit d’ailleurs l’unique Oscar de sa carrière, celui… des meilleurs effets spéciaux. Affligeant lorsque l’on pense au nombre de Hot D’Or obtenus successivement par Tabata Cash, qui elle aussi a reçu quelques Oscar dans sa carrière, entre deux Julien et trois ou quatre Philippe.

La suite, c’est Orange Mécanique en 1972, monument cinématographique sur fond de 9eme symphonie de Beethoven, et ça, heureusement, même Tabata Cash n’a jamais osé. Kubrick est au sommet, il veut faire un film sur son idole Napoléon mais la Warner le lâche et il commet plutôt Barry Lindon, film en costume pour névrosés abonnés à Télérama, à faire passer la Gloire de mon Père pour un Chuck Norris. Kubrick se rattrape heureusement très vite avec l’immense Shining , film d’horreur psychologique porté à bout de bras par le non moins immense et très hitchcockien Jack Nicholson. Que faire de mieux après ça ? Kubrick revient à ses premiers amours, le film de guerre, avec le très bon Full Metal Jacket et sa fameuse affiche du fusil coiffé d’un casque « Born To Kill ». Ce ne sera malheureusement pas le dernier Kubrick, puisque celui-ci se lance sept ans après dans le gigantesque projet Eyes Wide Shut, dont il aura la chance de ne jamais voir la sortie en salle : Kubrick meurt d’une crise cardiaque le 7 mars 1999, sans doute écoeuré par la performance de moule neurasthénique de Tom Cruise, beaucoup moins convaincant que la poignée de porte dans la scène d’entrée.

mardi 3 novembre 2009

La véritable histoire vraie de Marc Intoche (1)

- « Tu sais, le mien, il a toujours été là pour moi, lui »

Marc Intoche secoua la tête, épousseta machinalement la veste de son costume noir et se mit à contempler avec insistance le plancher comme s’il le voyait pour la première fois. Mon Dieu, il détestait les enterrements. Et par-dessus tout, il détestait qu’on vienne lui parler à un enterrement.

Qu’est-ce qu’ils avaient donc tous, à vouloir communiquer ainsi tout d’un coup, avaient-ils si peurs de la mort qu’ils se sentaient obliger de parler fort, et beaucoup, et à tout le monde, comme pour conjurer le mauvais sort ? Ils ne pouvaient donc pas se contenter d’écouter le silence ? Et encore, on n’en était qu’aux débuts de la cérémonie, tous les invités venaient à peine d’arriver et Marc en avait au moins pour deux heures à les entendre gémir et se plaindre sans raison. Qu’avaient-ils perdus, eux ? Rien. Rien. Ils se plaignaient juste fort, et beaucoup, et à tout le monde, pour bien montrer que eux étaient en vie, ou pour se le prouver à eux-mêmes, peut-être. Bande de vautours. Se nourrir ainsi de la tristesse des autres, s’agglutiner en groupe quand ils sentaient le souffle de la mort passer au-dessus de leurs têtes, si ce n’était pas une attitude de vautours, ça ! Une vieille dame que Marc ne connaissait que de vue, sans doute une voisine quelconque qui passait par là et avait vu de la lumière dans l’entrée, était en train de voleter partout dans la pièce à la recherche de compagnons d’infortunes pour partager son repas. Sale chienne. Rapace. De sa chaise, Marc pouvait voir ses petites mains crochues, pareilles à des serres d’aigles, qui battaient nerveusement l’air à la recherche d’une épaule compatissante où abattre son malheur sournois. Si elle osait s’approcher à moins d’un mètre d’elle, il n’hésiterait sûrement pas à lui défoncer le crâne avec le premier objet contendant qui lui passerait sous la main, tiens, ce gros bougeoir en fer forgé sur le dessus de la cheminée, il défoncerait très certainement sans aucun mal son crâne de piaf décati. Marc avait presque envie qu’elle franchisse les quelques mètres qui la séparaient encore de sa chaise, rien que pour vérifier si sa théorie était raccord avec les lois élémentaires de la physique. Et puis, ça ferait un exemple. Il pourrait laisser son cadavre là, pourrissant, comme si de rien n’était, et ça suffirait sans doute à faire fuir les autres. C’était ainsi qu’ils procédaient, dans l’Antiquité, il avait lu ça dans un livre quand il était jeune, à l’époque où c’était encore possible de lire ça dans un livre. Les guerriers qui défendaient une ville assiégée attachaient le cadavre de leurs adversaires à des poteaux et les laissaient pourrir au soleil pour insuffler la peur dans le coeur des survivants et leur montrer qu’ils ne badinaient pas avec la mort. Plus tard, ils avaient même perfectionné le système en catapultant carrément les dépouilles infestées dans le camp des opposants, et les maladies se propageaient à grande vitesse et décimaient tous ceux qui n’avaient pas fui avant. C’était le bon temps. Personne ne venait vous emmerder quand vous vous recueillez sur les restes encore fumants de votre plus cher et plus vieil ami. Personne ne venait vous taper la causette, l’air de rien, comme si on était à un vernissage d’art contemporain ou au Salon de la Nanotechnologie. Ils n’avaient pas bientôt fini d’aller et venir, comme s’ils ne voulaient pas perdre une miette de ce festin de désespoir ? Et encore, pour l’instant, il s’en était bien sorti. Il s’était contenté de fixer droit devant lui, les yeux dans le vague, comme s’il était perdu dans de sombres pensées, et peu avaient osé ne serait-ce que s’approcher de lui pour poser une main faussement compatissante sur son épaule. Mais il ne pourrait pas jouer la comédie éternellement. Un moment ou un autre, il se laisserait distraire par une quelconque conversation, il se laisserait happer par un mot entendu au hasard, et ça en serait fini de sa comédie du désespoir. En plus de ça, contrairement à nombre de ses semblables qui n’avaient pas vécu un monde sans Pomme, Marc Intoche savait pertinemment qu’il n’était pas très doué pour jouer les autistes en permanence. C’était une chose de camoufler sa différence dans la vie de tous les jours, lorsqu’il était au travail ou simplement lorsqu’il empruntait le Cercle en prenant l’air absorbé de celui pour qui il était tout à fait normal de se déplacer en se dématérialisant à tout bout de champ. Il faisait alors simplement mine d’être captivé par son écran tactile, effleurant la surface froide de ses mains malhabiles tout en espérant que personne ne remarquerait qu’il surfait dans le vide, presque à reculons. C’était encore tout à fait dans ses cordes, mais là, face à un tel événement dans la vie, il ne parierait pas un octet sur ses chances de ne pas se faire repérer immédiatement.