dimanche 15 novembre 2009

La véritable histoire vraie de Marc Intoche (3)

A l’époque, Marc Intoche se passionnait pour ses histoires de complots, dévoraient des tonnes de publications plus ou moins légales sur le sujet, et ils auraient posé des tonnes de questions à ses parents si seulement il avait eu la chance d’encore les avoir. Mais ils avaient disparu dans les premières heures sombres de la Réforme, victimes innocentes d’un attentat aveugle perpétré par la résistance dans les bâtiments de la Pomme où ils travaillaient tous les deux comme simples ingénieurs diagnostic.

Marc Intoche avait été abasourdi pendant 20 minutes, dévasté de tristesse pendant une semaine, en colère pendant 6 mois et animé d’un esprit de revanche les 3 années qui suivirent. Le plus naturellement du monde, il s’était rangé du côté de la Pomme, avait accepté leur foutu Programme Binaire et s’était trouvé ce job peinard au sein des Archives Centrales. Ce n’est qu’après de longues années de sommeil paradoxal qu’il s’était soudain réveillé un matin avec la sensation d’être pris dans un engrenage infernal dont il ne faisait pas vraiment partie intégrante, au sens propre du terme. Comme s’il était déconnecté en permanence de sa propre réalité, exécutant des tâches quotidiennes en mode semi-automatique sans vraiment y prêter attention, uniquement parce qu’on lui en avait donné l’ordre. Et quelles tâches ! Trier les données, bêtement, Alpha d’un côté, Epsilon au fond, Kappa dans un coin, Thêta là où il pouvait les caser, Iota dans ton cul, pourquoi pas. Ce boulot allait le rendre dingue, il s’en rendait bien compte. En vérité, la seule chose qui lui avait maintenu la tête hors de l’eau, ces derniers temps, ça avait été sans doute cette découverte mirifique de l’ancienne Bibliothèque de Madrid par deux grands robots Sondes en goguette du côté de la péninsule ibérique. A sa grande surprise, on l’avait chargé de l’identification et de la classification ordonnée de tous les manuscrits qui avaient pu être remontés à la surface à travers les centaines de mètres de gravats accumulés à cet endroit, alors qu’il n’avait subi jusqu’à là aucune formation particulière en la matière. C’était même la première fois qu’il voyait des livres de si prêt, et ça n’avait pas été chose aisée pour lui de se familiariser avec ces objets si étranges, si simples et si complexes, si répugnants et envoûtants à la fois. Mais une fois qu’il eut dépassé le stade d’une légitime appréhension, il était rentré avec délices dans un monde totalement nouveau pour lui, tâtonnant pour trouver la clé universelle qui commandait l’existence de ces objets dont il avait entendu parler sans jamais avoir pu comprendre ce dont il s’agissait. Il se devait seulement de réfréner son excitation en permanence, de paraître, encore une fois, totalement décontractée et insensible au charme vénéneux de ces manuscrits à la couverture jaunie par le temps. Il le savait, c’était une des conditions sine qua non pour qu’on le laisse travailler paisiblement aux Archives Centrales, prétendre que tout ça ne lui procurait aucune émotion visible, faire semblant, encore, de n’être qu’une pièce du puzzle qui servait la Pomme avec toute la froide dévotion à laquelle on reconnaissait ses sujets.

(à suivre)

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