dimanche 13 septembre 2009

La véritable histoire vraie de Philippe Maurice (2)

Philippe avait bien une petite idée sur la question, même s’il n’était âgé que d’une dizaine d’années lorsque la Prophétie s’était accomplie, et il avait surtout l’impression d’être passé à côté de quelque chose de fondamental dans sa jeunesse, ou plutôt, d’être né au mauvais endroit et au mauvais moment, anachronisme permanent perdu au milieu d’un monde dont il ne comprenait pas les règles.

Il n’était pourtant pas de nature rétive et, en général, se pliait de bonne grâce aux obligations qui incombaient à tous lorsqu’il s’agissait de faire en sorte que la société se porte au mieux. Même lorsqu’il était tout gosse, il n’avait jamais un mot plus haut que l’autre, respectait ses parents et les adultes qui l’entouraient comme il le devait. Il n’avait jamais fait de crise d’adolescence, à quoi cela aurait-il donc servi ? Sinon à se prouver qu’il était capable de se rebeller sans raison, futilement, alors qu’il avait à disposition tout ce qu’il pouvait espérer... c’était tellement facile de se forger une identité en s’opposant systématiquement à l’autorité, quelle qu’elle soit, qu’il ne se l’était jamais vraiment permis s’il avait toute latitude de faire autrement, et si les contraintes qu’on lui imposait lui semblait juste. Et cela avait été vrai toute une partie de sa vie adulte encore, cela avait vrai jusqu’à Ça. Ça était arrivé on ne sait comment, Ça s’était imposé comme si cela semblait naturel à tout le monde alors que Philippe Maurice écarquillait les yeux en déglutissant à la simple pensée que Ça pouvait exister. Mais Ça existait bel et bien, et la vie de Philippe Maurice en avait été transformée à tout jamais.

Philippe Maurice n’avait jamais eu de problème avec Ça avant. Personne n’avait jamais eu de problèmes avec Ça, d’ailleurs, mis à part quelques progressistes en mal de nouveautés, d’avides technocrates qui dépérissaient lorsqu’ils n’avaient pas de nouvelle loi à se mettre sous la dent, à défendre bec et ongle à grands coups de communication virale et de désinformation massive, et à faire appliquer avec la sévérité qui convenait à leur rang de décideur. Un décideur qui ne décide rien, c’est un non-sens, et c’était toujours ainsi que Philippe Maurice avait conçu l’arrivée de Ça. Et puis, ce n’était pas comme si personne ne l’avait vu venir... longtemps avant Ça, il flottait déjà dans l’air depuis quelques mois comme un lourd parfum d’autoritarisme primaire, conséquence directe des soubresauts révolutionnaires qui agitaient les colonies d’Acarus. Les Cours de Rééducation Fondamentale s’étaient vues renforcés, il était désormais formellement interdit de passer outre le Grand Oral d’Orientation, et les attroupements de plus de trois personnes dans un lieu public pouvaient être interrompus par les agents Norton, en usant de la force si cela était nécessaire. Cette dernière mesure avait particulièrement marqué Philippe Maurice, mais sans doute pas autant qu’il avait été bouleversé par Ça. Avec Ça, on avait passé un cap, sans conteste, on était rentré dans une nouvelle ère, et le pire de tout, c’est que du plus grand des Réformateurs au plus anonyme des citoyens, Ça ne semblait choquer personne autant que lui. Dans un premier temps, il avait bien tenté d’en prendre son parti, allant même jusqu’à pratiquer l’autohypnose pour parvenir à se convaincre que c’était lui qui comprenait tout de travers, que Ça était le progrès et qu’il n’avait aucune raison de s’y opposer, ne serait-ce qu’intellectuellement parlant. La Méthode de Suggestion Compensée n’y avait rien fait, pas plus que toutes les drogues en vente libre dont les Décideurs avaient augmenté simultanément la production. Il avait lentement glissé de la colère à l’incompréhension la plus totale, et de là, avait rejoint sans même sans apercevoir le rang des rebelles, des renégats, des exilés et des fugitifs. Voilà ce qu’il était, un fugitif, traversant à grandes enjambées le hall central bondé d’un énième aéroport pour prendre un énième avion à destination d’une énième région du globe où il espérait encore, sans trop y croire, que Ça n’avait pas encore colonisé.

(à suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire