dimanche 24 mai 2009

La véritable histoire vraie d’Harry Lee Oswald (2)

Au moment même où il se relevait pour vérifier qu’il n’y avait plus autour de lui que des cadavres sans éclat, Harry Lee Oswald se figea soudainement. Pendant de longues secondes, il ne bougea pas d’un pouce, paralysé sur place, le pistolet encore fumant à la main droite, comme si ce qu’il venait de faire lui avait demandé une telle dose d’énergie qu’il lui fallait prendre quelques minutes de repos, même contre son gré.

Pause. Il était crispé, à moitié relevé sur ses genoux, de grosses gouttes de sueur glissant malicieusement le long de son front sans qu’il ne puisse même esquisser un geste pour les éponger avant qu’elles ne s’écrasent sur le sol de l’entrepôt avec un petit scintillement délicat. Pause. Ca commençait à être long, et surtout, ce n’était pas la première fois que ça lui arrivait, ce genre de blocage intempestif. Il devrait peut-être penser à consulter un médecin, tant qu’il était encore temps. Ca faisait longtemps qu’il s’était fait à l’idée qu’il ne vivrait pas bien vieux, le genre de métier qu’il exerçait n’était pas exactement de ceux qui vous assuraient une retraite tranquille après des années de labeurs consciencieux et sans risques derrière un bureau. Rester toute sa vie derrière un bureau à regarder défiler sa vie devant ses yeux, ça l’aurait sans doute tué depuis bien plus longtemps et bien plus sûrement que tous les canons sciés du monde. Mais ce n’était pas parce qu’il préférait vivre dangereusement qu’il ne faisait pas gaffe à sa santé. Il avait beau se considérer lui-même comme un des plus beaux salopards que la planète ait porté, il n’empêchait que c’était sa peau dont il s’agissait, et qu’il y tenait un minimum. Il fallait qu’il arrête de tirer sur la corde en permanence, comme il le faisait. Une fois, déjà, il était mort. Il avait vu le tunnel, la lumière, les angelots avec les trompettes et tout le bordel, et puis il était revenu, il s’était senti aspiré par les pieds à travers un immense tourbillon et s’était retrouvé nez à nez avec le médecin qui venait d’extraire une balle de 22 de sa poitrine et de lui faire un massage cardiaque pour le ramener dans le monde réel. Même s’il avait été obligé de le tuer ensuite, Harry Lee Oswald lui serait éternellement reconnaissant pour ce qu’il avait fait, et en la mémoire de ce pauvre témoin innocent, il se devait de faire un peu plus attention à sa santé dorénavant. A force d’user des vies, il allait bien finir par y passer... allez, c’était décidé, dès que tout ça se serait un peu calmé, il irait se faire un check-up complet chez un docteur peu regardant sur l’identité de ses patients.

Doucement, avec d’infinies précautions, il tenta de remuer le petit doigt pour assurer sa prise sur le pistolet qui commençait à glisser insensiblement le long de sa cuisse, mais sans plus de résultat. Ca devenait vraiment très inquiétant, ses moments de paralysies subites qui pouvaient le surprendre n’importe quand. Pour l’instant, il s’en était plutôt bien tiré à chaque fois, mais ça lui faisait froid dans le dos rien qu’à imaginer que cela aurait pu lui arriver une trentaine de minutes auparavant, alors qu’il tentait de fuir ses poursuivants en sautant de toit en toit au-dessus des rues de Dallas. Il s’imaginait, s’immobilisant en plein vol avant de chuter lourdement et de s’écraser lamentablement sur le bitume en contrebas. Il frissonna, et comme s’il était soudainement parcouru d’une décharge, son corps se mit en mouvement et il faillit perdre l’équilibre. Il jura copieusement en se remettant d’aplomb. Cochonnerie. Il ne couperait décidément pas à sa visite chez le médecin, mais pour l’instant, il y avait plus urgent. Il fallait qu’il se tire d’ici, et vite. Les mecs qu’il venait de descendre n’étaient sûrement pas venu seuls pour le cueillir, et dans pas longtemps, tout le coin allait grouiller de racailles et de flics mélangés... Harry Lee Oswald n’aimait ni l’un ni l’autre, il leur vouait la même haine viscérale depuis que les seconds essayaient de lui coller sur le dos un assassinat que les premiers avaient commis. La seule certitude qu’il pouvait avoir à cette heure, c’est que pas un seul d’entre eux n’hésiteraient à lui coller une balle dans la tête à la moindre occasion pour l’empêcher d’aller raconter son histoire à la ronde. Un bruit de sirène au loin lui fit tendre l’oreille, et il se hâta de fouiller rapidement les poches de ses agresseurs pour voir si elle contenait quelques éléments susceptibles de l’innocenter, sait-on jamais. Le plus petit avait dans son portefeuille une photo de lui de très mauvaise qualité, prise au téléobjectif, où on le voyait très clairement épauler un fusil à lunettes Remington avec un air gourmand. Tu parles d’un indice à la con. Pas hyper convaincant comme preuve de son innocence. Harry Lee Oswald soupira et fit tout de même glisser la bandoulière de son sac pour y glisser la photo. Il en vida le contenu sur le sol devant lui, effleurant du doigt chaque item de sa maigre collection : un couteau suisse émoussé, une boussole à la con, une carte de Dallas à moitié déchiré, trois chargeurs de pistolets, une alliance qu’il caressa rêveusement et un kit de premiers secours qu’il avait eu l’intelligence de piquer dans cet appartement où il s’était réfugié juste après l’attentat. Autrement dit, que dalle. A part cette carte postale du Machu Picchu qu’il tourna et retourna entre ses doigts sans parvenir à déchiffrer l’étrange inscription cabalistique qu’elle portait au dos, une suite de signes sans signification apparente, suivi de coordonnées géographiques abracadabrantes. Il soupira à nouveau et eut un sourire désabusé. C’était pas le Pérou, mais c’était la seule piste qu’il avait jusqu’à maintenant. Va pour le Machu Picchu. Il se releva, contempla quelques secondes le corps flasque de la journaliste qui s’était arrêté de saigner abondamment, puis s’approcha des deux malabars étendus et s’agenouilla pour leur subtiliser leurs armes. Ca pouvait toujours servir, vu ce qui l’attendait dehors. Alors qu’il se relevait en empochant le petit calibre du grand dadais, une sorte de clochette tinta à son oreille, et Harry Lee Oswald jeta autour de lui un regard inquiet. Rien. Ca aussi, ce n’était pas la première fois que ça lui arrivait, il entendait des bruits qui ne semblaient exister que dans son imagination. Et merde. Il était bon pour une visite chez le psy en plus de son escapade chez le médecin. Harry Lee Oswald haussa les épaules, secoua la tête pour chasser le tintement dans ses oreilles, embrassa une dernière fois le délicieux tableau ensanglanté qu’il laissait derrière lui, consulta sa montre à quartz d’un regard inquiet et s’enfonça d’un pas résolu dans le couloir qui s’ouvrait sur sa droite.

(à suivre...)

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