dimanche 7 juin 2009

La véritable histoire vraie d’Harry Lee Oswald (4)

Le contact de l’air frais sur son visage le réveilla immédiatement. Il ne s’était pas écoulé plus de quelques secondes depuis sa fausse chute dans le noir, il en était certain. Il rouvrit les yeux avec précaution et ses pupilles se dilatèrent subitement quand il vit où il se trouvait. Autour de lui s’étendait à perte de vue une jungle qui n’avait rien d’urbaine, un amas de verdure sauvage où le soleil peinait à faire pénétrer ses rayons malgré le coeur qu’il mettait à l’ouvrage. Harry Lee Oswald se remit sur pied en une seconde et dégaina son arme, aux aguets. Qu’est-ce qu’il foutait ici ?

Si c’était une blague, elle ne le faisait pas rire du tout, d’autant que ce n’était que la troisième fois que ça lui arrivait en peu de temps et qu’il se demandait vraiment à se demander ce qui clochait chez lui. Hallucinations à répétition ? Paranoïa subjective ? Médecin, psychologue, et il pouvait rajouter un bon neurologue à sa liste de courses pour la semaine prochaine, histoire de comprendre ce qui déconnait là-dessous. En attendant, il fallait qu’il sorte de ce fourbi, si possible en évitant de choper la malaria et une quinzaine de maladies tropicales en se faisant bouffer la main par un des innombrables singes à l’air passablement défoncé qui commençaient à s’attrouper autour de lui en poussant de petits cris perçants. Ils avaient les yeux totalement injectés de sang et le fixaient d’un étrange regard, comme s’ils ne voyaient en lui qu’un bout de viande fraîche tombée du ciel. Bordel, il était pourtant absolument certain que ces bestioles étaient végétariennes. Pour se rassurer, il leva son arme et en dégomma trois au hasard en tirant dans le tas. Dans une vie parfaite, ça aurait sans doute suffit à disperser cette vermine aux quatre coins de la jungle, mais Harry comprit vite que cela aurait un effet exactement inverse lorsqu’il vit un vieux mâle aux allures de gorille sous coke se frapper violemment la poitrine avant de charger en sa direction avec un hurlement lugubre. Sans réfléchir, Harry lâcha deux ou trois rafales en direction de ses agresseurs et prit la fuite à toutes enjambées, se taillant difficilement un chemin à travers les lianes qui encombraient le passage et semblaient absolument vouloir s’enrouler autour de ses jambes pour le faire chuter. Ses tempes battaient à tout rompre et ses oreilles bourdonnaient d’une étrange mélodie, comme si soudainement des sauvages dissimulés dans la jungle, tout autour de lui, s’étaient mis à jouer du tambour à l’unisson. Il était presque à bout de force lorsque tout à coup la verdure s’interrompit brusquement, et il du se jeter au sol pour ne pas perdre l’équilibre et chuter dans le précipice qui s’ouvrait devant lui. Il écarquilla les yeux. Le panorama était sublime, avec les hautes montagnes des Andes à sa gauche, la rivière tumultueuse qui gloussait joyeusement une centaine de mètres plus bas, et le Machu Picchu qui se dressait fièrement devant ses yeux, de l’autre côté du fossé. Entendant derrière lui les cris des singes qui se rapprochaient à grande vitesse, Harry tenta de se concentrer pour réfléchir à sa situation. Il fit rapidement l’inventaire de ses bagages tout en sachant qu’il n’y trouverait pas le seul truc qui lui aurait été utile à ce moment-là, un deltaplane. Ou une corde, à la limite, comme celle qu’il avait laissée accrochée, dans la panique, au 3ème étage du building. Il soupira. Ce n’était pas le moment de se lamenter. Il recula de quelques pas, pris une profonde inspiration et se rua vers le précipice, poussant plus fort sur ses jambes qu’il ne l’avait jamais fait pour tenter d’atteindre désespérément l’autre côté. Il lui sembla qu’il restait en l’air une éternité, comme si le temps avait suspendu sa course quelques secondes pour le regarder avec délectation se péter la gueule au fond du ravin. Il battit des bras avec l’énergie du désespoir décidant subitement que c’était bien trop con de crever ici après avoir fait tout ce chemin, et dans un dernier élan, parvient à accrocher une longue racine qui s’étalait paresseusement au soleil. Il souffla. Ce n’était pas passé loin, ce coup-ci.

Tandis que les grands singes se trémoussaient sur l’autre rive en l’insultant dans une langue étrange parsemée de sifflements et de grognements divers, il se hissa à la force du poignet et parvint à reprendre pied sans encombre sur la terre ferme. Quelle histoire à la con. Il n’en revenait toujours pas de se retrouver à crapahuter comme un débile profond au milieu de la jungle, il devait rêver, c’est cela, ce n’était qu’un rêve, et il allait se réveiller dans peu de temps. Il mettait seulement un peu plus de temps à se réveiller que d’habitude, un peu trop d’ailleurs pour que sa théorie du rêve reste crédible. Tant pis. Il épousseta à nouveau son pantalon, surpris de le voir encore intact et presque immaculé après toutes ces péripéties, et, redressant son sac sur ses épaules, il se dirigea vers le temple avec l’air décidé de celui qui sait exactement où il se trouve. Il n’en avait pas la moindre idée.

Après avoir gravi les 237 marches irrégulières qui menaient à l’entrée du temple, Harry Lee Oswald se sentit légèrement fatigué et prit le temps de souffler, les mains sur les hanches. Ce n’était pas ici qu’il allait trouver des barres chocolatées, a priori. Après quelques secondes, il se dirigea vers l’immense porte décorée de symboles semblables à ceux que l’on distinguait au dos de la carte postale et qui lui arrachèrent un sourire désabusé. Tu parles d’un indice à la con. Au moment où il passait sous la grande arche centrale, Harry fut soudain saisi d’un étrange sentiment de déjà-vu qui lui fit passer un frisson dans l’échine, comme si ce n’était pas la première fois qu’il pénétrait en ces lieux où pourtant l’Homme n’avait pas du mettre les pieds bien souvent depuis des centaines d’années. Il toucha du doigt la pierre recouverte de mousse, tentant de rattraper sans succès les bribes de souvenirs qui s’échappaient hors de sa portée à grande vitesse. Il avait déjà vu cet endroit, c’était certain, et cette petite cour intérieure bordée de statues silencieuses, et cette porte en bois grossière qu’il poussa craintivement du bout des doigts, tremblant de ce qu’il allait découvrir derrière. Une grande salle magnifiquement décorée, éclairée par d’énormes chandelles étrangement allumées par une main inconnue. Au fond, devant une immense tapisserie qui représentait très certainement une divinité inca dont il n’avait aucune idée du nom, était assis un homme, de haute stature, coiffé d’un casque qui semblait fait de plumes d’oiseaux tressées. Sans esquisser un seul geste inutile, l’homme releva la tête, dévoilant des yeux perçants qui semblaient capables de voir à travers lui, et lui fit signe de s’approcher en tendant la main vers lui. Harry Lee Oswald bouillonnait. Il commençait à en avoir ras-le-bol de leurs conneries, à tous ces guignols. D’abord les mecs aux chapeaux mous, et maintenant cet espèce de bouffon emperlousé qui le matait avec un air narquois depuis son trône. Il en avait vraiment marre de toutes ces simagrées, il en avait assez de ne rien comprendre, il ne pouvait plus supporter ces maux de têtes et ces sauts dans l’espace-temps. Ce con allait payer pour tous les autres. Dégainant son arme et oubliant toute prudence, Harry Lee Oswald se rua à travers la pièce en vidant son chargeur en direction du bonhomme, sans que celui-ci ne fasse un seul mouvement pour éviter les projectiles. Ce n’est que quand Harry marcha sur une dalle toute noire posée au milieu de la pièce qu’il se souvient subitement pourquoi il avait eu cette impression de déjà-vu en rentrant dans le temple. Il était déjà venu ici auparavant. Il s’était déjà rué à travers la pièce, il avait déjà marché sur la dalle noire, il avait déjà entendu ce petit déclic dont il n’appréciait guère la sonorité morbide, et il s’était déjà pris en pleine poire un des innombrables pieux qui venaient de jaillir des parois latérales et n’allaient pas tarder à le clouer au sol après l’avoir transformé en passoire. Et merde. Il ferma les yeux.

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