mardi 18 août 2009

La véritable histoire vraie de Freddy Siroco (3)

Tacata Bash avait pourtant bien précisé qu’elle ne voulait pas être dérangé pendant au moins une bonne heure, mais l’empressement avec lequel on tambourinait à sa porte laissait entendre que l’affaire était des plus urgentes. Freddy Siroco était assis dans l’encadrement de la fenêtre, la tête rejetée en arrière pour mieux sentir la brise fraîche lui caresser le cou, les bras abandonnés le long du corps. Tacata contempla encore quelques secondes son profil qui se découpait malicieusement sur le fond ocre du coucher de soleil, soupira, s’éclaircit la gorge d’une petite toux et invita les intrus à entrer dans la pièce en mettant suffisamment d’inflexions désagréables dans sa voix pour laisser comprendre qu’elle n’appréciait pas du tout une autre compagnie que la sienne pour l’instant.

Le visage affolé de la capitaine de la garde impériale la fit se redresser instinctivement sur son siège, aux aguets. Claire Saint Laure n’était pas dans son état normal. Elle si calme d’habitude, elle semblait prête à fondre en larme, et son corps était parcouru de frissons nerveux qui en disaient long sur son trouble. Elle parvint à se ressaisir rapidement et, dans un souffle, fit à sa reine un exposé aussi objectif que possible de la situation. Le laboratoire d’Antiope avait été pris d’assaut il y a une heure par une cinquantaine de guerrières bien entraînées, menées par une certaine Penthésilée, opposante notoire dont on n’avait plus eu de nouvelles depuis un certain moment. Et pour cause, elle avait du préparer son action depuis des mois pour que celle-ci soit aussi efficace, au moins une dizaine de gardes avaient été liquidées sans pouvoir même se défendre et la quasi totalité des installations avaient été détruites, à en croire l’épaisse fumée noire qui s’élevait au-dessus du laboratoire et avait provoqué un mouvement de panique général au sein de la population. Trois cent personnes étaient déjà massées devant les portes du château, et la garde impériale avait fort à faire pour les maintenir à distance sans provoquer plus de dégâts encore. Quant à ce qu’elles voulaient, c’était d’une limpidité éclatante.

Claire Saint Laure reprit son souffle et hésita quelques secondes à aller plus loin dans son exposé. Ce n’était pas exactement à elle de donner des conseils à sa reine sur la façon de gouverner son royaume. Elles s’étaient connues toutes petites, et Claire Saint Laure avait juré à sa souveraine une fidélité absolue le jour de son accession au trône. Elle lui faisait une confiance aveugle et ne pouvait imaginer une seule seconde qu’elle prenne un jour une mauvaise décision. Et quand bien même serait-ce une mauvaise décision, Claire Saint Laure était prête à faire barrage de son corps si l’on osait s’approcher trop près de sa reine. Pour le coup, le problème était épineux, et elles le savaient suffisamment toute les deux pour que Claire se contente de laisser planer un long silence. Elles savaient toute deux ce que signifiait la prise du laboratoire d’Antiope. Les recherches sur la fertilisation artificielle lancées quatre ans auparavant par Tacata Bash n’avaient donné que des résultats très médiocres, les mères porteuses étaient toutes décédées dans d’atroces souffrances et leurs progénitures n’avaient survécus que quelques semaines. Le peuple vieillissait, et insensiblement, la crainte s’emparait de toutes depuis plusieurs semaines. C’était bien quelque chose à laquelle les Sœurs Constituantes n’avaient pas pensé le jour où elles avaient ordonnés, bien des années auparavant, que l’on liquide sans pitié tous les hommes valides et tous les héritiers mâles du royaume. Et désormais, c’était à Tacata Bash que revenait la lourde tâche de gérer cette crise majeure. Elle réfléchit encore quelques instants, la tête plongée entre ses mains, et congédia Claire Saint Laure d’un regard affectueux. Quelques minutes. Elle avait besoin de quelques minutes pour réfléchir, et elle savait que sa fidèle compagne ferait tout ce qui était en son pouvoir pour les lui accorder. Comment avait-elle pu être aussi bête pour confier tous ses espoirs en la science, comment ses aînées avaient-elles pu croire que l’on pouvait défier ainsi impunément les lois de la nature ? Tacata Bash posa distraitement son regard sur Freddy Siroco, qui observait d’un oeil attentif la grande agitation qui régnait aux portes du château et se retourna vers elle en lui adressant un sourire qu’il voulait rassurant. Tacata était loin d’être rassurée. Elle ne devinait que trop bien les intentions de cette Penthésilée, dont elle connaissait la réputation jusqu’au-boutiste. La cible, ce n’était pas le laboratoire d’Antiope, ce n’était pas le château de Gaïa, ni même elle, la souveraine du pays. La cible se trouvait devant ses yeux, tremblant maintenant de manière imperceptible au fur et à mesure qu’il comprenait ce qui était en train de se passer. D’un moment à l’autre, les renégates parviendraient à franchir le cordon de sécurité, elles brûleraient tout sur leurs passages, s’empareraient du dernier individu capable de donner encore la vie sur cette planète et l’emporterait loin d’elle sans lui laisser une chance de protester. Elle ne pouvait le permettre, elle ne pouvait pas le perdre, elle ne pouvait même pas imaginer le partager avec d’autres. Et elle ne pouvait pas non plus fermer les yeux sur l’évidence, et condamner son peuple à une mort lente en refusant d’admettre qu’il était bien sa dernière chance de survie.

(à suivre)

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