dimanche 20 décembre 2009

La véritable histoire vraie de Noe Darwin (2)


Lui seul avait compris que la nature était sur le point de se rebeller comme jamais elle ne l’avait fait auparavant. Lui seul avait deviné que la théorie de l’évolution devait trouver là son achèvement ultime, et que ce qui allait suivre serait bien pire que tous les typhons et tous les tsunamis réunis.

Un phénomène magnétique et énergétique d’une telle ampleur que tout ce qui demeurait à la surface de la planète se consumerait instantanément, comme brûlé d’un feu intérieur dont la puissance ne pouvait pas même être mesuré par les instruments de pointe dont disposaient les scientifiques de la NASA. Ceux-là même qui lui avaient ri au nez et dont les cadavres accumulés à la surface n’avaient pas même pu pourrir en paix si, comme il l’avait prévue, la déflagration avait été logiquement suivie d’un refroidissement brutal des températures qui ne devaient désormais pas dépasser les – 121° à la surface du globe. Il le sentait jusqu’au coeur de son habitacle surchauffé, ce froid perçant qui tentait de s’insinuer par tous les pores de son corps fatigué par des années d’insomnies et de privations.

Un meuglement perçant déchira soudain l’atmosphère silencieuse du poste de pilotage, et Noé Darwin jeta un coup d’oeil en souriant à sa montre à gousset qu’il tenait si souvent serré contre son coeur, comme si le temps restait désormais son bien le plus précieux et que tout irait bien tant qu’il saurait exactement quelle heure il était. Le 23 juin 2024, 8h37, pile poil. La Jeannine était décidément réglée comme une horloge suisse, plus précise encore que cette montre antique au mécanisme démesurément simple dont Noé n’avait décidément jamais regretté l’achat dans une vieille brocante de Central Park. Chaque matin, à la minute près, cette bonne vieille vache normande réveillait ses congénères avec la même note grave maintenue quelques secondes dans les airs, puis se rendormait quelques secondes en renâclant, le temps que son maître daigne descendre les écoutilles en pestant nonchalamment pour lui apporter leur pitance quotidienne. Soudain ragaillardi par cette sonorité familière, Noé Darwin s’étira quelques instants en baillant, se saisit de la torche glissée dans une encoche sur le mur et se dirigea d’un pas lourd vers le sas qui le menait vers les étages inférieurs du sous-marin. Ce n’était pas un vrai sous-marin à proprement parler, plutôt une vieille capsule de secours en mer sur trois étages, plutôt spacieuse dans le genre, qu’il avait acheté pour trois fois rien dans un surplus de l’armée russe grâce à l’argent de son héritage dont il avait ensuite entièrement dilapidé les dividendes pour aménager son cocon de survie comme il l’entendait. Enjambant la coursive qui le conduisait de sa salle de bain à la cuisine, il exécuta machinalement ces gestes du quotidien qu’il répétait chaque matin depuis bientôt treize longues années, se concentrant sur la façon la plus rationnelle de gagner quelques dixièmes de seconde chaque jour pour ne pas sombrer dans la folie. Sa toilette achevée dans un temps record, il passa dans la pièce suivante, ouvrit un placard et déposa sur la table le repas frugal qu’il avait concocté pour lui-même et ses pensionnaires. Encore des patates, mais il ne se plaignait pas, il adorait ça et les animaux aussi. De toute façon, son potager miniature ne lui fournissait pas suffisamment de nourriture pour faire son difficile, et il se félicitait d’avoir fait assez de provisions de conserves et de pomme de terre pour survivre tant d’années en solitaire. Bientôt, cela ne suffirait plus, il ne le savait que trop bien, et il lui faudrait alors penser à ce qui suivrait. Il soupira longuement. Pour l’heure, il ne voulait même pas laisser son esprit divaguer de la sorte sur l’avenir sombre qui l’attendrait lorsque ses animaux et ses cultures ne lui assurerait plus les ressources nécessaires pour demeurer ici en sécurité.

(à suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire