samedi 25 avril 2009

La véritable histoire vraie de Martin Luther Queen (1)

Le 22 février 2222, à 22:20 précise, Martin Luther Queen ouvrit la porte de son petit appartement de Manhattan avec la ferme intention de ne pas céder à l’obscurantisme et à la panique. Il avait reçu de son père assez de taloche et de sa mère une éducation pratique assez stricte pour ne pas se laisser aller à écouter les sirènes du mysticisme et toutes ces pitreries à propos de 2 qui s’accumulaient dans la stratosphère. L’an dernier, un prédicateur plus charismatique que les autres avait annoncé la fin du monde et causé une véritable panique parmi la population. Black One et l’ensemble de la presse n’avait pas laissé passer une telle occasion de faire de l’audience sans effort. Plusieurs émissions spéciales avaient été consacrées à ce qu’ils baptisèrent dans l’euphorie générale « la Nuit de l’Apocalypse », émaillées d’interventions éclairées de soi-disant spécialistes qui étaient aussi doués pour prédire l’avenir que lui, modeste balayeur des quartiers huppés de New York City.

Dehors, la nuit était d’un noir d’encre. Martin soupira bruyamment. Il en avait toujours été ainsi, la nuit avait toujours été terriblement noire, aussi longtemps qu’il s’en souvienne. Et les rues de la capitale étaient toujours aussi peu éclairées, comme si les Gouvernants et leurs administrés se complaisaient dans cette demi-obscurité qui les enveloppait confortablement, comme un coussin de mauvaise augure dans lequel rien ne pouvait leur arriver de pire. Quant tout était sombre autour de vous, le moindre rai de lumière qui parvenait à traverser la couche de noirceur prenait des airs de feux de joie, et tout vous souriait soudainement. On se contentait de peu, on vivait de rien, on s’amusait d’une broutille, c’était un monde de pessimistes et d’oiseaux de mauvaise augure où les chats naissaient tous noirs et où le 13 signifiait toujours qu’un malheur approchait. Mais du moins, ils étaient tous dans le même bateau, égaux dans la misère. A de rares exceptions près, les disparités sociales avaient été gommées en profondeur le jour de la Grande Transformation, et même lui qui était issu très visiblement d’une minorité ethnique absolument peu ragoûtante (il le reconnaissait lui-même) n’avait jamais vraiment souffert du racisme avant ça. Et puis ce maudit pasteur était arrivé du diable vauvert, avec sa cohorte de fidèles fraîchement convertis et ses étranges idées sur la supériorité de la race, au-dessus desquelles flottait un délicieux parfum d’eugénisme et de haine. Ronald Bush s’était trouvé un auditoire déjà naturellement conquis, travaillé au corps par les centaines de charlatans qui avaient précédé celui-ci et dix années d’obscurantisme forcené. Martin Queen ne se rappelait pas comment tout cela avait bien pu commencer, et encore moins avec quelle rapidité ses théories s’étaient propagées dans les esprits, gangrenant les plus hautes sphères de la société, s’adjoignant sans aucune difficulté le soutien quasi absolu de l’ensemble de la classe dirigeante. Ce n’était un secret pour personne que Ronald Bush briguait un poste important au sein du Gouvernement Intérimaire, qui n’avait d’intérimaire que le nom après dix-sept années de domination sans partage, constellées de fausses élections jouées d’avance et de mini coups d’état sans conséquences. Parfois, les Gouvernants changeaient, s’entretuaient dans l’indifférence générale, mais celui qui prenait la place du précédent arborait quelques jours plus tard le même masque glacial. Ronald Bush avait beau avoir le soutien de la populace, il ne devrait pas trop s’amuser avec le pouvoir en place, à moins d’avoir de solides raisons de penser qu’il était à l’abri d’une balle perdue.

(à suivre)

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